Quelqu'un que j'attendais
J’ai rencontré Shantidas vers 1960, lors d’une conférence à la Chambre de commerce de Mulhouse, et durant les jours qui ont suivi – car la conférence se prolongeait pour ceux qui le voulaient. Je venais de découvrir la foi par la lecture des livres de Gandhi et je cherchais le dialogue interreligieux. Comme nous n’étions que cinq ou six personnes, j’ai pu m’entretenir avec lui. Il répondait aux questions que je me posais et à mon attente. J’étais conquise. Puis je l’ai raccompagné à la gare, en silence. Il était simple. Nous avons toujours eu un bon lien.
Plus tard je suis allée à Bollène en stage. J’avais envie de fuir à cause des chants grégoriens très « cathos », mais en même temps j’étais emballée et ne tarissais pas d’éloges! J’étais timide et je venais d’une famille anticléricale, cette rencontre était pour moi un grand bouleversement. Shantidas s’est trouvé sur mon chemin comme quelqu’un que j’attendais. Sa façon ouverte de parler de l’interreligieux me convenait. Ses paroles parlaient au cœur plus qu’à l’intellect.
Avec une amie, Marianne, nous avons fondé un groupe d’amis à Mulhouse, puis j’ai rejoint la communauté en 1968 avec mon mari Erwan. Shantidas était notre maître des novices. Je l’aimais beaucoup et appréciais énormément ses causeries. Ses paroles me nourrissaient. J’avais peu de relations personnelles avec lui, bien que nous habitions la Borie, car on ne le voyait pas beaucoup. Mais je tapais les Nouvelles de l’Arche et c’était l’occasion d’une relation sympathique. Il allait volontiers prendre le café chez l’un ou l’autre pendant la sieste de Chanterelle.
Erwann, qui faisait le pain, allait chanter avec Shantidas et Chanterelle à midi, pour soutenir la voix de Shantidas qui faiblissait avec l’âge. Ce rendez-vous quotidien les a beaucoup rapprochés. Shantidas était très compréhensif envers le positionnement hors tradition religieuse de Erwan, et notre réticence à faire des vœux puisque cela supposait la reconnaissance d’un Dieu personnel. Finalement nous avons accepté les vœux « par contrainte sociale », comme disait Erwan, qui ne se sentait pas lié au catholicisme mais qui pratiquait assidûment les prières communautaires, la méditation et le yoga. Shantidas l’avait d’ailleurs encouragé à enseigner le yoga.
Je n’allais pas au groupe de chant avec Chanterelle, n’étant pas douée pour cela, et je la voyais assez peu : elle était avenante, mais très occupée. Shantidas était très strict sur la tenue blanche du dimanche, la façon de se tenir, de marcher, de s’asseoir à table, de parler sans crier… Avec le temps nous sommes devenus plus familiers. Il marchait presque tous les jours jusqu’à Lodève (18 km) où il prenait son café. C’est en marchant qu’il écrivait ses livres, s’arrêtant pour noter la phrase mûrie par les pas. Lorsque nous sommes partis en Inde en 1979, il voulait venir nous voir, mais il est mort trop tôt…